La fable Franklin mérite d’être contée aux enfants. Cette fable est celle de Rosalind Franklin, une jeune femme érudite délibérément radiée de l’histoire et dont le mérite des travaux, est revenu à d’autres éminents scientifiques. Un phénomène plutôt banal dans le monde académique qui n’échappe pas aux guerres d’ego. Sauf que des « usurpateurs » ont, avec un mal aplomb, profité du discrédit porté aux femmes scientifiques pour rafler leur récompense : un prix Nobel.
Nombreuses sont les femmes qui se voient évincées des remises de prix, quand il ne s’agit pas carrément d’un prix Nobel. La minimisation, quand il ne s’agit pas de déni, de la contribution des femmes scientifiques à la recherche n’est pas un phénomène nouveau : l’historienne des sciences Margaret Rossiter l’a théorisé sous le nom d’effet Matilda.
Une intelligence « scientifique » révélée très tôt
Rosalind Franklin, née dans le Londres de 1920, montre une intelligence précoce aux questions scientifiques. Contre l’avis de son père, la jeune femme intègre à 18 ans, la célèbre université de Cambridge, dont elle ressort docteur en 1945. Retirée à Paris pour se former à la cristallographie, elle y découvre le bonheur d’être considéré comme l’égal de l’homme.
Rosalind Elsie Franklin naît le 25 juillet 1920 à Notting Hill, à Londres, dans une riche famille juive. Élève brillante, elle réalise un parcours exemplaire tout au long de sa scolarité. Elle a la chance d’intégrer à 11 ans le St Paul’s Girls’ School, un des seuls établissements de Londres où la physique et la chimique sont enseignées aux jeunes filles. Là, elle montre ses talents pour ces matières, ainsi que pour le latin et le français.
En 1938, elle passe avec brio son examen de fin de scolarité et obtient une bourse universitaire. Son retour au King’s College de Londres lui remet les pieds sur terre. Le directeur l’engage pour son expertise dans la diffraction des rayons X et la place à la tête d’un projet portant sur l’ADN.
Un caractère fort et farouche
De retour d’une courte absence, Maurice Wilkins (physicien) qui travaillait déjà sur le projet de l’ADN, découvre une bonne femme installée dans ses bureaux et la considère naturellement comme sa nouvelle assistante technique. Difficile de lui en vouloir. Les femmes n’étaient pas autorisées à pénétrer dans les cantines de l’université.
Dès lors, les deux chercheurs ne peuvent plus se sentir et se déclarent une guerre ouverte, chacun menant ses recherches de son côté. Avec l’aide de son étudiant, Raymond Gosseling, Rosalind Franklin ne tarde pas à délivrer deux clichés haute résolution de fibre d’ADN cristallisée. Le physicien John Desmond Bernal qualifiera plus tard ces clichés de « plus belle photo de toute substance jamais prise aux rayons X ».
Un mérite qui lui a été usurpé
Tout à sa haine envers cette femme trop intelligente et rigoureuse, Wilkins s’allie alors de deux de ses collègues, James Watson et Francis Crick pour leur montrer sous le manteau une de ses photographies. Les trois compères peaufinent un modèle sur la structure en double hélice de l’ADN et ensemble, publient leur résultat dans la revue « Nature » en 1953. Prise de court, Rosalind n’a droit qu’à un article annexe.
Rosalind Franklin meurt à 37 ans d’un cancer des ovaires, probablement dû à son exposition aux rayons. 4 ans plus tard, le trio Wilkins, Watson et Crick raflent le prix Nobel qui ne peut être remis à titre posthume. Seul Wilkins mentionnera une timide reconnaissance envers sa rivale déchue, les deux autres n’y feront pas allusion.
Au contraire, Watson s’emploiera même à faire passer la brillante Franklin pour une incompétente. Grisé par sa « victoire » trop vite acquise à seulement 25 ans, le désormais vieillard s’est régulièrement distingué par de « fines réflexions » qui soulignent à quel point le Nobel lui a été remis sur un malentendu.
Source: Le Blob, France Culture, Futura Sciences