L’Afrique, berceau de civilisations, possède un patrimoine mythologique d’une richesse incomparable. Ces récits ancestraux, bien plus qu’un simple héritage oral, jouent un rôle crucial dans la littérature africaine contemporaine, offrant un pont entre le passé et le présent.
Cet article explore la relation étroite entre les mythes africains et la création littéraire. Il met en lumière comment les auteurs africains intègrent ces récits traditionnels dans leurs œuvres pour donner une profondeur métaphysique et universelle à leurs histoires tout en restant fidèles à leurs racines culturelles.
I. La diversité mythologique africaine
L’Afrique n’est pas un bloc homogène, et cela se reflète dans la variété de ses mythes. Chaque grande zone de civilisation possède sa propre mythologie distincte. Par exemple, la mythologie mandingue (incluant les Bambara, Dioula, Maninka, Soninké) se distingue de la mythologie peule, qui elle-même se divise en plusieurs sous-groupes ethniques. Certains mythes, comme ceux des Dogons, sont spécifiques à une ethnie et ont été largement étudiés par les ethnologues.
La mythologie africaine, dans son acception classique, se définit par un ensemble de récits métaphysiques cohérents qui répondent à des questions fondamentales sur l’origine du monde, les phénomènes naturels et les structures sociales. Ces récits sont souvent peuplés de divinités et de héros dont les actions fondatrices influencent non seulement la société qui les raconte, mais aussi l’humanité dans son ensemble.
II. L’influence des mythes sur la littérature africaine contemporaine
L’impact des mythes africains sur la littérature est indéniable. De nombreux auteurs puisent dans cette riche tradition pour insuffler à leurs œuvres une dimension symbolique et universelle. Par exemple, l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, dans son roman Les Crapauds-brousse, fait allusion à un mythe peul qui donne à son récit une profondeur métaphysique. Ce procédé est également visible dans Les Écailles du ciel du même auteur, où un épisode d’un mythe cosmogonique peul est utilisé pour transcender le cadre sociopolitique de l’histoire.
À l’opposé, certains auteurs, comme le Nigérian Amos Tutuola, intègrent directement la matière mythologique dans leurs récits. Dans The Palm-wine Drinkard et My Life in the Bush of Ghosts, Tutuola fusionne des éléments de la mythologie yoruba avec des contes et des légendes fantastiques, créant ainsi une narration où le mythe devient la base de l’intrigue.
III. Le mythe comme outil narratif central
Certaines œuvres vont plus loin en utilisant le mythe non seulement comme référence culturelle, mais comme élément structurant de l’intrigue. C’est le cas du roman Les Soleils des indépendances de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma.
L’histoire de Fama Doumbouya, dernier héritier d’une dynastie déchue, est profondément ancrée dans un mythe de fondation, fictif mais conforme aux récits traditionnels mandingues. Ce mythe devient le noyau autour duquel toute l’intrigue se construit, transformant ainsi le roman en une réflexion sur la destinée humaine, illustrée par la déchéance de Fama.
Cette approche montre que le mythe, loin d’être un simple élément de folklore, peut jouer un rôle fondamental dans la construction narrative et l’expression de la vérité culturelle des auteurs africains.
IV. L’universalité des récits mythologiques dans la création littéraire
L’usage du mythe dans la littérature africaine ne se limite pas à des récits de fondation ou des clins d’œil allusifs. Il s’étend à l’adoption de formes narratives qui rappellent le discours mythique, comme l’invulnérabilité des héros ou la transgression de tabous fondamentaux. Par exemple, dans Le commencement des douleurs de Sony Labou Tansi, le baiser du personnage Hoscar Hana rappelle le péché originel, instaurant un nouvel ordre dans l’intrigue, à l’image des récits mythologiques.
Les mythes africains, par leur richesse et leur diversité, constituent une source d’inspiration inépuisable pour les auteurs du continent. Ils permettent non seulement de préserver une mémoire culturelle, mais aussi de donner aux récits littéraires une portée universelle.
En intégrant ces récits traditionnels, les écrivains africains parviennent à exprimer la complexité de l’expérience humaine, tout en ancrant leurs œuvres dans une tradition culturelle profonde et authentique. La mythologie, loin d’être un simple héritage du passé, se révèle ainsi être un outil narratif puissant, capable de transcender les époques et les frontières culturelles.
Bibliographie
- Jean Derive. L’Afrique: mythes et littératures.
- D. Chauvin; A. Siganos; P. Walter. Questions de
mythocritique, Imago, pp.11-20, 2005. ffhalshs-00344048 - Kourouma, Ahmadou. Les Soleils des indépendances. Paris: Seuil, 1970.
- Tutuola, Amos. The Palm-wine Drinkard. London: Faber, 1952.
- Monénembo, Tierno. Les Crapauds-brousse. Paris: Seuil, 1979.
- Labou Tansi, Sony. Le commencement des douleurs. Paris: Seuil, 1995.