La mère de Kobrah s’en était violemment prise au Chef du village qu’elle avait accusé de complicité. Effrontément, elle l’avait injurié en public, l’avait traité de scélérat et avait maudit la chefferie, appelant aux représailles, toutes les divinités justicières de sa connaissance. Mais, chose curieuse, un mois et demi après ces hostilités, elle était devenue folle.
A l’époque, Kobrah n’avait que onze ans. Ses trois frères et lui avaient été confiés à des tuteurs. Le sien était un cousin de leur père. Il vivait à la capitale et s’appelait Totochi. Réparateur de machines à coudre et de lampes à pression, ce dernier était l’homme de la démesure par excellence. C’était un colosse de deux mètres, pesant sûrement plus d’un quintal. Velu comme une chenille, ventripotent, exubérant en parole, il pouvait engloutir tout seul et sans mal, une dose d’alcool qui aurait pu brouiller la lucidité d’une dizaine d’honnêtes gens. Il mangeait comme un goinfre. Autant, il était capable de créer une atmosphère de gaieté tapageuse, autant il était capable d’entretenir des foyers de bagarres, alimentés de grossièretés. Il était d’un sans-gêne déconcertant. Il lui arrivait de faire la sieste au bistrot qu’il visitait, au mépris des remarques du barman. Avec ça, il disait à qui voulait l’entendre : « Malheureux, celui qui ne sait pas profiter de la vie ! »
Il aimait bien Kobrah et s’occupait de lui comme il le pouvait. Mais, hélas ! une nuit, Totochi avait trouvé la mort après être revenu des funérailles dans un village voisin. On avait justifié sa disparition en établissant les faits d’un empoisonnement concerté. Kobrah en avait cruellement souffert.
Devenu optimiste à outrance, Kobrah ne voudrait plus se représenter des journées sans soleil, des nuits sans lune, des routes sans balises, des sécheresses sans fin, des inondations sans bornes, des bagarres sans trêve, des calamités sans issue, bref, une vie sans espoir. « Fais ton devoir, et abstiens-toi de juger les autres ». Cette sentence qu’il avait intériorisée, dès son premier contact avec le Cercle des Amis du Progrès, s’était incrustée à tel point sur sa conscience qu’il ne pouvait faire des actes sans s’y référer. Quel changement ! Kobrah était passé d’une extrémité à une autre, de l’ombre à la lumière …
Tétévi MEDETOGNON-BENISSAN, D’une extrémité à l’autre, ed. awoudy, Déc 2014
